Dernière Vodine

Richard a sorti sa machine à engrais… Planquez vous mes lapins, ça va sentir bien pire que les gaz d’échappement. La machine à engrais de Richard, je ne connais rien de plus nocif… Quand ses collègues et lui commencent leur danse au milieu des champs, ça pique les yeux et l’eau du robinet ne tarde pas à devenir imbuvable. Le plateau briard, ex. plateau à fromage, se roule avec délice dans l’agriculture à haut rendement. Ce n’est pas nouveau me direz vous, je sais mais chaque début de printemps, ça revient sur le tapis, quand Richard sort l’épandeur à engrais.
L’autre jour, je discutais avec André, accoudée à la table recouverte d’une toile cirée, oui, celle avec des chasseurs et des canards sauvages, ils en vendent encore, de ce genre de toile par chez nous… Il me disait qu’il produisait trop de céréales, qu’il le savait mais que c’était comme cela qu’il fallait faire pour obtenir des sous de la part de l’Europe. Il me disait que sans cet argent, il ne pouvait pas faire vivre son exploitation. Pourtant, il aurait préféré vivre simplement de la vente de son grain, comme avant. Oui, André, il dit que c’était mieux avant. Moi, du coup, j’imagine des jeunes gens musclés qui battent le blé au fléau avec des gestes précis et surs. Je ne crois pas qu’André ait un jour battu le blé au fléau. André vend sa dernière Vodine, bientôt. La Vodine, c’est une vache. Toutes ses vaches se sont appelées Vodine, du nom d’une marque d’aliment pour vaches justement… Vodine sans numéro, c’est pas comme pour les bateaux… André vend la Vodine parce qu’il arrête son exploitation, il prend sa retraite et personne ne reprend derrière lui. Il me dit ça en enlevant la housse de protection de la télé, c’est l’heure de son jeu télévisé et là, il ne me parle plus, il fixe l’écran.
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